Bien que les eaux des Kerguelen paraissent vides de toute
vie pélagique au premier abord (un film réalisé par des plongeurs passés entre
OP3 et OP4 2011 montrait que les eaux du Golfe et du sud de Ker sont absentes
de toute vie poissonneuse, grouillant surtout d’algues, d’étoiles de mer et de
concombres), la ZEE des TAAF possède pourtant au large une richesse exceptionnelle
surnommée l’or bleu des Kerguelen : la Légine. Ce poisson à la chair
blanche d’une saveur exceptionnelle (je parle en connaissance de cause) se
négocie à prix d’or, presque exclusivement pour les marchés asiatiques. Sa
pêche en est donc extrêmement règlementée, et si les contrôleurs de pêche vers
Amsterdam surveillent de près les pêcheurs de Langoustes, ceux autour de Crozet
et Kerguelen se concentrent sur les palangriers qui fraient dans les eaux
territoriales des TAAF.
L’Albatros fait partie de ces navires. Ancien chalutier
congélateur de la pêche hauturière (à l’inverse de côtière) lancé le 12
décembre 1966, il a été racheté par la marine en 1983 puis transformé en
patrouilleur pour les TAAF en 1984. Basé habituellement à la Réunion, il
effectue chaque année trois à quatre rotations de deux mois dans les TAAF (des
îles éparses à Kerguelen et jusqu’aux îles voisines australiennes) afin
d’assurer la souveraineté nationale, de surveiller la pêche et de contribuer au
soutien logistique des bases.
Le patrouilleur des TAAF "Albatros"
Ce 14 juin 2012, nous voyons avec plaisir poindre l’étrave
de ce navire militaire à l’allure si inhabituelle : en tant qu’ancien
chalutier nous sommes loin des frégates militaires imposantes. Une escale de
quelques heures seulement est prévue pour la journée, mais à midi, une tempête
de neige et les rafales de vent à plus de 45 nœuds empêchent les 18 marins
descendus dans la matinée de remonter à bord.
Arrivée en zodiac des 18 visiteurs
Les hivernants qui avaient prévu de
monter pour visiter le navire sont également privés de cette distraction
toujours très appréciée. Après un splendide buffet de bienvenue préparé par nos champions de l'équipe cuisine, une longue attente s’installe entre le port et
l’Albatros en début d’après-midi. Les tempêtes de neige s’enchaînent, nous
fouettant le visage et balayant la route d’une couverture blanche mouvante. Finalement,
à 15h, le commandant de l’Albatros renonce à faire remonter la partie de son
équipage à bord, et nous décidons d’inviter ces 18 naufragés sur la base pour
la nuit. La nouvelle est accueillie avec le sourire, aussi bien par les marins
qui voient dans ce contretemps une agréable occasion de passer une soirée loin du
roulis et dans un « grand » lit une place à Ker Avel (l’hôtel -3
étoiles de PAF, mais pourtant de luxe en comparaison d’une couchette de navire),
mais aussi par tous les hivernants qui profitent de l’occasion pour rencontrer
de nouvelles personnes, renouveler les discussions, et affronter de nouveaux
adversaires au ping-pong ou au billard.
Totoche, le bar ouvre même pour l’occasion sur dérogation du
DisKer, et après un repas dans une foule inhabituelle pour nous depuis la fin
de la campagne d’été, nous nous retrouvons tous à l’étage le temps d’une soirée
entre nouveaux et anciens amis. En effet, certains de nos marins de la base
connaissent quelques membres de l’équipage, avec qui ils ont partagé des
missions à travers le globe. Il suffit d’écouter parler ChiChi (surnommé ainsi
en raison de ses origines chiliennes), des étoiles dans les yeux, nous raconter sa mission
d’un an sur le BCR Var en compagnie de Denis (notre Bosco Chaland), Gwen (mécano
chaland), Guillaume (EDK) et Christian (mécano centrale), pour avoir envie de
faire son balluchon et d’embarquer pour un an d’explorations marines de territoires où l'on n'aura probablement jamais la chance d'aller.
Encore un
autre horizon qui s’ouvre à nous, grâce à ces rencontres furtives que les
Kerguelen nous offrent comme par surprise.
Vendredi 15 juin
Le vent s’est calmé durant la nuit, et le soleil pointe
au-dessus d’un Port Aux Français bien calme sous une fine pellicule de neige
poudreuse. Plus d’excuses ce matin, il va falloir partir.
Descente glissante de la rue principale, de TyKer vers la flottille et le port
Quelques courageux lève-tôt accompagnent nos marins jusqu’au port pour un dernier au revoir – certains ont les paupières lourdes, la soirée à Totoche a été réussie. Tandis qu’une nouvelle aube rose et violette se lève sur le golfe du Morbihan, un duo de manchots papou fend l’eau cristalline à quelques mètres de nous, puis le zodiac arrive depuis la silhouette grise de l’Albatros.
8h, il est déjà temps
de se dire adieu. Derniers échanges de cadeaux, fruits frais et légumes pour
nous, poissons (Légine et Grenadier) et moutons de Longue pour eux, et l’on se
salue une dernière fois.
Derniers passagers du zodiac pour l'Albatros : carton de Légine et carcasse entière de mouton
Romain, le sympathique infirmier anesthésiste du bord,
part avec le dernier zodiac. Nous n’aurons pas eu la chance de voir Jean Maxime
cette fois-ci, le médecin de bord, mais la solidarité a une nouvelle fois
frappé : Jean-Max nous a fourni du matériel médical qui nous manquait
sévèrement, et repart avec des analyses sanguines à faire à la Réunion, tandis
que nous lui fournissons quelques médicaments qui lui faisaient défaut. Lorsque
l’on est seul au milieu de nulle part, et à plusieurs milliers de kilomètres
de la première pharmacie, la solidarité passe avant tout.
Romain, l'infirmier anesthésiste de l'Albatros (et encore un breton ! :-)
Ultime sonnerie du camion pompier de Pimpon, et lorsque
l’Albatros lève l’ancre, il fait résonner une dernière fois sa corne de
brume : et le voilà déjà qui fait route vers la passe royale.
Prochaine escale : Amsterdam.
Patrick, notre chef de district, entouré des 18 marins naufragés de l'Albatros
Bonjour.
RépondreSupprimerJe suis l'un des heureux naufrager du 14 juin 2012. Merci aux habitants de Ker, qui comme à leur habitude nous ont reçu comme des invités de marques. J'espère que l'on pourra en faire autant à notre prochain passage.
Seb